Accès à l’eau potable : inégalités persistantes, enjeux de tensions et de futurs conflits armés

« Sans être la principale cause de discordes, le partage des ressources en eau participe à envenimer des conflits. Les territoires voisins se disputent cet or bleu qui se raréfie avec la croissance démographique et le changement climatique. »  –  Frédéric Lasserre, géographe de l’université Laval au Canada et auteur de l’ouvrage « Les guerres de l’eau : l’eau au cœur des conflits du XXIème siècle ».

En 2010, l’ONU a reconnu l’accès à l’eau potable comme droit de l’homme. Dès 2000, les membres de l’ONU s’engagent à réduire de moitié le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable ainsi qu’à des installations sanitaires, d’ici 2015, dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement. En effet, on estime que 884 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et que 2,6 milliards de personnes ne bénéficient pas des installations sanitaires de base ; ceci faisant de l’eau – principalement, de l’accès à l’eau de qualité – l’un des défis majeurs du XXI° siècle.

Si les inégalités d’accès à l’eau potable sont fortes entre les pays, elles le sont également au sein d’un même pays, entre zone urbaine et rurale, où l’accès à l’eau demeure plus difficile. La sécheresse prive la population d’eau, certes, mais c’est surtout les problèmes de financement des infrastructuresqui sont la source de ces inégalités. De fait, même si plusieurs institutions internationales et de nombreuses organisations non-gouvernementales ont mis en place des projets d’assainissement et de développement du réseau d’approvisionnement en eau, le coût de ces infrastructures et de leur entretien pose véritablement problème ; il est complexe de faire porter ce coût important par des populations déjà très précaires. Un autre facteur de l’inégalité de l’accès à l’eau pourrait être les difficultés de gestion de cette ressource. En effet, pour ce domaine, le principal mode de gestion est le partenariat public-privé entre le secteur public et les compagnies privées de distribution d’eau. Ce mode de gestion pourrait creuser le gouffre déjà existant entre les populations se lavant avec de l’eau potable et celles qui n’en disposent même pas pour s’hydrater ; les entreprises privées à but lucratif dans ce domaine jouissent d’un chiffre d’affaires conséquent ce qui fait craindre une hausse du prix de l’eau que certaines populations ne pourraient pas assumer.

Raréfaction d’une ressource et inégalités de consommation

L’accès à l’eau potable a toujours été source d’inégalités et de conflits. Il s’agit là d’inégalités alarmantes puisque l’accès à cette ressource est à la fois un enjeu sanitaire, économique et politique. Pour les pays développés, il paraît impensable que l’eau ne soit pas ressource courante et accessible pour tous ; mais alors que nous nous lavons, que nous remplissons nos piscines avec une eau potable, nombreux sont ceux qui n’en disposent pas, même pour boire.

De nos jours, l’or bleu se raréfie encore davantage. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte dans la diminution des ressources naturelles en eau, parmi lesquels on compte notamment le réchauffement climatique ; celui-ci affecte d’abord le remplissage des réservoirs d’eau souterraine. En effet, il le réduit soit directement par la baisse des pluies, soit indirectement par la hausse de la demande – en particulier pour l’irrigation. Le deuxième facteur principal à la diminution de l’eau disponible est l’augmentation démographique de la population terrestre ; déjà à l’origine, les quantités d’eau potable n’étaient pas suffisantes pour satisfaire les besoins primaires de tous les habitants du globe, mais, face à une augmentation constate de la population, les ressources ne s’en trouvent qu’appauvries.

Pour toutes ces raisons, les inégalités de consommation d’eau sont déjà frappantes. On estime qu’un citoyen américain consomme en moyenne 600 litres d’eau par jour, un européen 300 litres d’eau par jour, alors qu’en Afrique subsaharienne, la consommation moyenne est de moins de 30 litres par jour et de moins de 20 litres pour un habitant d’Haiti. A Kaboul, capitale de l’Afghanistan, une famille vit en moyenne avec 10 litres d’eau par jour ; la capitale ne dispose que d’un seul circuit de distribution d’eau ne pouvant approvisionner que 18% de la population. Ces différences de consommation viennent du fait que, dans les pays développés, les infrastructures sont très performantes et que la majeure partie de l’eau dont dispose les ménages est utilisée pour faire fonctionner les douches et les W.C, arroser les jardins privatifs, remplir les piscines. On remarque, en effet, qu’une hausse du niveau de vie s’accompagne d’une hausse de la consommation d’eau.

En ce sens, en mai 2016, la Banque mondiale, dans un rapport spécial sur le réchauffement climatique, avait averti que « près de 1,6 milliard de personnes – presque un quart de l’humanité – vit dans des pays ayant une rareté physique en eau. Et d’ici à vingt ans, ce chiffre pourrait doubler ». Les estimations suggèrent qu’avant trente ans le système global alimentaire nécessitera entre 40 % et 50 % d’eau supplémentaire. La demande d’eau par les municipalités et l’industrie va augmenter de 50 à 70 %, celle du secteur de l’énergie de 85 %.

Nombre de chercheurs constatent que même si peu de conflits armésse sont actuellement déclenchés sur les litiges liés à l’accès à l’eau, ces dernières pourraient se multiplier dans un avenir plus ou moins proche du fait de changements climatiques profonds et d’une augmentation démographique sans précédent. Le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) explique d’ailleurs qu’ « avoir accès à l’eau est devenu un enjeu économique puissant à l’échelle planétaire, qui pourrait devenir, dans le siècle à venir, l’une des premières causes de tensions internationales ».Réchauffement climatique, démographie galopante, urbanisation et industrialisation croissante, le cocktail s’annonce explosif ; certains experts vont jusqu’à prédire, qu’au XXI° siècle, l’ « or bleu » remplacera l’ « or noir » dans les conflits entre nations.

L’accès à l’eau potable ; une arme politico-militaire

Les changements de paradigmes politiques relatifs aux ressources en eau illustrent bien que cet élément devient peu à peu une source de conflit mais également un instrument du pouvoir. D’ailleurs, pour lutter contre l’instrumentalisation de l’eau en élément de stratégie géopolitique, on assiste à la volonté croissante de considérer l’or bleu comme bien public mondial.

Certains bassins fluviaux, comme celui du Nil par exemple, alimentent toute une région en eau ; le pays qui prendra le contrôle de tout le bassin, par le biais d’un barrage ou en détournant le fleuve, laissera les régions en aval dépendantes des politiques de son pays. Voilà un exemple de comment les ressources en eau peuvent devenir un enjeu voire une arme politique.

Plus récemment, l’accès à l’eau est devenu un enjeu majeur des négociations entre Israël et la Palestine. Quatre pays sont donc en tension dans le bassin du Jourdain – Israël, les territoires palestiniens occupés, la bande de Gaza et la Jordanie – pour le contrôle des réserves en eau du Jourdain, qui sont surexploitées. Le long du Jourdain, des stations de pompage et des conduits sont construits pour irriguer les terres Israéliennes. La Jordanie a construit et a encore comme projet de construire des barrages le long du Jourdain.

 Dans le cas des conflits qui ne sont pas armés ou dans les litiges, l’objectif des protagonistes est plus souvent d’empêcher l’autre de mener à bien ses projets que l’on perçoit comme menaçants, plutôt que d’aller prendre le contrôle de sa ressource en eau. Dans le cas d’Israël et des Palestiniens, ils n’ont pas réciproquement apprécié les projets unilatéraux de mobilisation de la ressource. Quand les Israéliens commencent à construire en 1959 l’aqueduc qui pompe les eaux du Jourdain pour la distribuer dans l’ensemble du territoire israélien, les voisins arabes le prennent comme une offense. C’est ensuitepar vengeance que ces derniers décident, en 1964, de construire l’aqueduc de détournement des eaux du haut Jourdain pour priver Israël de ses eaux du fleuve, ce qui à son tour déclenche la riposte armée d’Israël qui bombarde à plusieurs reprises le chantier. On assiste au même processus entre l’Irak, la Syrie et la Turquie mais également entre l’Egypte et l’Ethiopie.

Plus dramatique encore, l’eau peut devenir une véritable arme militaire : la soif tuant autant que les balles. Lors des conflits armés au Kosovo, les réserves d’eau ont été détruites ou contaminées faisant des ravages parmi la population civile.

Des conséquences sanitaires dramatiques

L’eau, comme beaucoup d’autres ressources naturelles, est inégalement répartie sur la Terre. Cependant, c’est moins le manque d’eau que la présence d’eau sale qui tue ou rend malade des populations entières ; l’eau viciée est la première cause mondiale de mortalité. En effet, plusieurs problèmes se posent de manière récurrente ; d’abord, les réseaux d’assainissement des eaux sont encore quasi-inexistants dans une large partie du monde. Ensuite, dans les pays du Sud, beaucoup d’entreprises privées passent outre les normes environnementales en vigueur en rejetant, par exemple, dans les rivières des produits très toxiques, responsables de nombreuses maladies graves. Enfin, la majorité des réserves en eau sont utilisées pour l’industrie et l’agriculture tandis qu’une partie minime est dédiée aux foyers ; de fait, sans rééquilibrage de la consommation d’eau, certains pays – notamment des pays du Sud plongés depuis des siècles dans une précarité profonde – se trouvent face à un choix cornélien, la faim ou la soif.

Des guerres de l’eau aux réfugiés climatiques

De nos jours, la plupart des régions qui subissent des conflits aigus liés à l’eau ne connaissent pas exclusivement des tensions et divergences relatives à l’eau ; ces derniers se couplent à des conflits d’autres natures – il s’agit principalement de conflits politiques, territoriaux, idéologiques ou frontaliers. À ces conflits là se superposent les divergences sur les modalités de partage de l’or bleu.

Par exemple, pour revenir au litige du partage des eaux du Jourdain, ce n’est pas le seul point de désaccord : le conflit concerne également l’existence même d’Israël, les territoires occupés, le statut de Jérusalem, les réfugiés, les frontières… Ici, l’eau n’est donc un élément parmi d’autres du conflit perdurant entre Israël et ses voisins.

On assiste au même phénomène au Proche-Orient entre la Turquie, la Syrie et l’Irak ; le partage des eaux de l’Euphrate et du Tigre est une source de conflit. Cependant, ici également, l’or bleu se superpose à d’autres rivalités, d’autres conflits plus profondément ancrés entre les trois pays. En effet, entre ces derniers, plusieurs crises ont mené à un climat de tensions permanent ; la révolte des Kurdes instrumentalisée par la Syrie afin d’affaiblir la Turquie avec un litige frontalier, le conflit entre la Syrie et l’Irak en provenance d’une vieille rivalité sur la domination du monde arabe…

En d’autres termes, l’eau ne fait qu’accentuer des dynamiques conflictuelles déjà existantes et, à l’inverse, la dynamique conflictuelle rend le compromis sur le partage de l’eau beaucoup plus complexe.

Pour l’instant, les « guerres de l’eau » les plus violentes se déroulent actuellement à l’intérieur d’une même nation. Par exemple, ces vingt dernières années, les tensions intercommunautaires au Kenya et en Tanzanie pour l’accès de diverses communautés aux points d’eau se multiplient. Il ne s’agit pas de conflits entre Etats mais à l’intérieur d’un même Etat, ce qui est tout aussi inquiétant. La récurrence et l’augmentation de ces tensions internes à des seuls Etats sont très préoccupantes.

Par la même, les « réfugiés climatiques » ne concernent pas exclusivement des populations côtières devant fuir la montée des eaux ; il y a également ceux qui manquent d’eau. 4 milliards d’individus seront soumis à un stress hydrique d’ici 2025, contre 400 millions en 1995. Au Yémen ou en Somalie, par exemple, la rareté de l’eau va de toute évidence engendrer des réfugiés climatiques. En Syrie ou en Lybie, le processus sera le même avec les conséquences probables de conflits armés internes dans des pays où l’approvisionnement en eau était déjà très sensible avant que les conflits n’éclatent.

Coopération entre États ou gouvernance mondiale ?

Dans la mesure où 40 % de la population mondiale est établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe, les Etats sont bien obligés de coopérer. Cependant, de nos jours, on constate l’existence de seulement 200 traités de coopération qui ne couvrent que 60 bassins fluviaux, soit moins d’un quart des ressources.

La coopération entre Etats était le thème de la journée mondiale de l’eau en 2013, mais est-elle vraiment efficace ? Personne ne peut être contre la tentative de faciliter la coopération vers la médiation en soulignant l’intérêt existant à essayer de résoudre de tels litiges ; on peut encourager les Etats à négocier et il le faut. Cependant, personne ne peut non plus obliger ces mêmes Etats à accepter la coopération, le compromis contre leur volonté. Si les Etats impliqués dans le litige restent respectivement braqués sur leurs positions, malgré tous les efforts déployés, la situation demeurera sans issue.

Par exemple, entre l’Egypte et l’Ethiopie, les choses ne bougent plus depuis presque deux décennies ; malgré leur tentative de négociation et la mise en place de programmes de coopération technique, dès que la question du partage des eaux du Nil est abordée, le litige se cristallise.

Au contraire, il existe des cas où la coopération interétatique fonctionne grâce à la médiation. Par exemple, malgré les relations très tendues entre l’Inde et le Pakistan ainsi que leur désaccord fondamental sur d’autres questions, le traité des eaux de l’Indus a été signé dans un climat de guerre. Ce traité paraît solide puisqu’il a résisté à trois guerres successives ; malgré des tensions récurrentes, les deux pays n’affichent pas la volonté de rejeter le traité car les risques politiques et économiques sont bien trop élevés pour chacun d’entre eux.

La gouvernance mondiale pourrait-elle être une solution envisageable pour mettre fin aux tensions relatives au partage des eaux ? La question de la gouvernance mondiale fait débat depuis plusieurs décennies sur bien d’autres sujets que celui de l’or bleu ; la réponse demeure toujours la même, les Etats sont réticents à cette idée car elle est synonyme de perte de souveraineté, perte de pouvoir et de contrôle sur les thèmes concernés. Ainsi, une gouvernance mondiale pour la question de l’eau signifierait pour certains Etats une perte de souveraineté sur les eaux qui coulent sur leur territoire.

En 1997, la Convention de New York des Nations Unies sur les eaux de surface proposant un cadre juridique à la négociation des accords de partage à l’échelle des bassins versants a été signée dans le cadre d’une potentielle gouvernance mondiale. Or, pour les raisons évoquées précédemment, cette convention n’est jamais entrée en vigueur, n’ayant pas recueilli suffisamment de ratifications permettant au traité de s’imposer en droit international. Par conséquent, trop peu d’Etats accepteraient la création et l’existence d’une police internationale des eaux. C’est probablement pour cela que la convention de New York ne prévoit pas la création d’un tel organisme.

Entre augmentation démographique, réchauffement climatique, conséquences sanitaires dramatiques et arme politico-militaire, l’eau demeure une thématique socio-politique de premier plan. Pour le bien et la santé de tous, il va falloir mettre un terme aux tensions géopolitiques relatives à ce bien universel de première nécessité, faire un choix entre coopération entre Etats et gouvernance mondiale pour une meilleure gestion de cette ressource naturelle qui se raréfie.

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