Prévision du risque d’incendie des espaces naturels au Liban : Entretien avec le Dr. George Mitri

Dans cet entretien réalisé en septembre 2021, le Dr. George Mitri, professeur de sciences de l’environnement à l’université de Balamand, située dans la ville de Tripoli au Liban, nous livre son analyse des risques majeurs et plus particulièrement ceux liés aux incendies des espaces naturels auxquels le Liban se voit confronté depuis déjà plusieurs années. Il revient sur les causes des impressionnants incendies qui ravagent le pays du Cèdre de manière récurrente lors des saisons à risque et nous explique les effets du changement climatique sur ce type de catastrophe. Il fait aussi état des capacités de réponse opérationnelle du Liban, que la crise économique, politique, sanitaire, sécuritaire et sociale actuelle a encore fragilisé, et des nouveaux outils permettant la réduction des risques mis en place. Le développement de ces outils entre dans le cadre d’un nouveau programme mené par  PSF France dans la région du Kesrouan-Ftouh.

Présentation du Docteur George Mitri

Professeur de sciences de l’environnement à l’Université de Balamand, à Tripoli au nord du Liban, George Mitri est également Directeur du programme “Territoires et ressources naturelles” auprès de l’université de Balamand et un acteur de premier plan dans la mise en place de PSF Liban. Il travaille sur l’aménagement du territoire contre les risques d’incendie avec les acteurs locaux et collabore avec la Commission européenne sur ces questions. Ses travaux de recherche portent essentiellement sur les incendies des espaces naturels, l’aménagement des forêts, la dégradation des sols et des terres agricoles, la sécheresse et l’impact du changement climatique au Liban et en Méditerranée.

"Quels sont les risques majeurs qui touchent le Liban ?"

“On note d’abord le risque de récurrence et d’extension des feux. Ces trois dernières années, on recense les pires saisons dans le sud du pays. En 2012-2013, on comptait au total environ 1 000 hectares partis en fumée en moyenne alors qu’en 2020 on décompte plus de 7 000 hectares brûlés, soit une superficie sept fois plus grande en l’espace de 7 ans. On a même dépassé des chiffres records au nord de Beyrouth avec, en 2021, plus de 700 hectares détruits par les feux en 3 jours. Des feux d’une telle ampleur n’étaient jamais arrivés auparavant.

Et puis, il y a le risque de propagation des feux à de nouvelles zones auparavant en partie préservées. Les feux touchent des zones forestières mais aussi agricoles, et même des zones écologiques protégées et des zones de haute montagne où la végétation est plus vulnérable et a plus de mal à se remettre d’un tel évènement. Les forêts de haute montagne sont des forêts beaucoup moins entretenues donc plus endommagées et où certaines plantes endémiques causent une pression sur d’autres végétaux qui n’ont pas la capacité de se remettre des incendies.”

“Quels sont les facteurs susceptibles d’aggraver ces risques ?”

“Il y a d’abord l’urbanisation des zones rurales. En effet, cela conduit parfois à une intersection de territoires urbains, de territoires agricoles et de territoires forestiers, ce qui augmente drastiquement le risque d’éclosion d’un feu du fait de l’augmentation de l’activité humaine dans la zone. De plus, les conséquences d’un incendie sont autrement plus dramatiques dans ces zones puisqu’elles conduisent à des pertes matérielles et humaines qui mettent alors les populations et les territoires dans des situations de vulnérabilité extrêmes, qui auraient pu être évitées par la prise en compte des risques de feux de forêts dans un plan d’urbanisation.” 

Ensuite, ce qui favorise l’éclosion et l’extension d’un incendie c’est aussi l’abandon des forêts. “En laissant les forêts évoluer sans réguler la reproduction d’espèces endémiques et sans nettoyage des végétaux secs, et de fait très combustibles, un feu a beaucoup plus de probabilité de s’étendre rapidement et d’atteindre des niveaux d’intensité difficilement maîtrisables.”

Le dernier facteur, et pas des moindres, est bien évidemment le changement climatique. Vecteur de phénomènes météorologiques extrêmes et fréquents, le changement climatique a un impact direct sur la multiplication des épisodes de sécheresse au Liban et donc sur le risque d’incendie dans le pays. Dans un programme mené en 2010 à l’Université de Balamand, le Dr. Mitri relève d’ailleurs que “les modélisations réalisées quant aux conséquences du changement climatique sur les risques d’incendie en 2020 se sont révélées tout à fait correctes : l’augmentation des températures moyennes et l’augmentation du nombre d’hectares brûlés par an coïncident parfaitement avec la multiplication des périodes de sécheresse”.

“Quels sont les outils existants au niveau national qui sont mis en place en matière de RRC au Liban ?”

Au Liban, il existe deux volets de la lutte contre les incendies qui permettent d’atténuer les risques d’éclosion : on mise à la fois sur la prévision du risque et sur la prévention par l’information et la pédagogie.

“Un outil de prévision a été mis en place par l’Université de Balamand. Développé sous le nom de Projet Fire Lab, il permet de placer les zones en vigilance quelques jours avant que la catastrophe ne survienne et d’anticiper l’évolution d’un feu en termes d’extension et d’intensité.”

Des indicateurs socio-économiques ont été ajoutés à cet indice après qu’on s’est rendu compte que la majorité des feux au Liban sont dus à l’activité humaine. Des campagnes de sensibilisation et de prise de conscience ont aussi été mises en place auprès des populations locales.” 

Avec ces campagnes, on vise tout d’abord, les agriculteurs. Dans la majorité des cas, les feux d’espaces naturels qui se déclarent au Liban sont dus à la pratique de l’écobuage.” Cette technique agricole traditionnelle constitue un outil de défrichage ou de préparation des sols avant mise en culture. Elle consiste à retourner la terre, laisser sécher les végétaux retournés puis brûler et étendre les cendres des végétaux sur les terres afin de créer un fertilisant naturel. L’écobuage est cependant parfois pratiqué sur des terrains agricoles en lisière de forêt, ce qui peut entraîner un risque d’incendie important en cas de cendres mal éteintes.

Projet FIRE LAB

L’université de Balamand a développé un indice des risques d’éclosion et des dangers qu’un feu peut occasionner dans les 9 jours suivant son éclosion. Cet outil se base en grande partie sur une étude approfondie de la topographie, de la végétation des territoires et de leur niveau de combustibilité. Ces éléments sont également recoupés avec des indicateurs socio-économiques afin de pouvoir établir des probabilités fiables qui prennent en compte tous les facteurs de déclenchement et d’extension d’un feu dans un espace donné.

Ainsi, dès les premiers signes de risques (qu’ils soient structurels ou ponctuels), cet outil établit une carte qui classe les municipalités libanaises par niveau de vigilance. Ceci permet donc de mobiliser les forces de sécurité civile sur les zones dans lesquelles le niveau de vigilance est le plus important et de potentiellement évacuer les quartiers d’habitation menacés.

Cet indice peut également être utilisé après éclosion d’un feu, pour connaître plus précisément dans quelle direction les flammes vont continuer de se diriger et avec quelle intensité. Ces informations donnent alors aux forces de protection civile le temps de mobiliser le matériel adéquat et de mettre en place une stratégie pour contenir et même atténuer ces incendies.

 

“Ces campagnes s’adressent aussi aux riverains et visiteurs qui s’adonnent à des activités récréatives dans les zones forestières. Il s’agit dans ce cas-là, d’alerter sur les risques du campement sauvage et de l’allumage de feux de camps qui restent parfois actifs bien après le départ des campeurs.”

“On cherche à sensibiliser les populations aux risques engendrés par les décharges sauvages. On procède parfois dans ces décharges à une destruction des déchets par le feu, des feux qui peuvent alors se déplacer jusqu’en lisière de forêt.”

Enfin, ces campagnes essaient de sensibiliser les populations locales aux risques engendrés par l’usage irraisonné de feux d’artifices. “Très présents dans la culture libanaise, ils sont tirés à chaque célébration.” Cependant, leur utilisation combinée à de fortes rafales conduisent parfois de petites cendres incandescentes à attiser de grands feux.

“La réponse nationale actuelle est-elle efficace ?”

“Certains outils et mécanismes de réponse qui existent à l’échelle régionale et internationale fonctionnent. On relèvera par exemple le mécanisme européen de protection civile, régulièrement sollicité par le Liban en saison estivale, ou encore la Charte Internationale des Espaces et Catastrophes Majeures”, qui agit à l’échelle globale et qui peut être activée par n’importe quel État touché par une catastrophe.

Au niveau national, cependant, c’est une autre histoire. “Que ce soit au niveau de la réponse opérationnelle ou dans les dispositifs et mesures liés à la prévention et à la prévision des risques et des catastrophes, le Liban manque encore de capacités de résilience dans ce domaine”.

Le docteur George Mitri pointe premièrement du doigt le “manque d’engagement et le manque de contrôle dans l’application des dispositifs de RRC” de la part des autorités libanaises.

 En effet, “toutes les informations dont les forces de protection et de sécurité civile ont besoin sont récoltées et analysées par les départements dédiés au sein des universités”.

Mais face à la sévère crise économique, politique et sociale que traverse le pays, la mise en place d’outils de prévention des incendies et de protection des forêts “ne représente plus une priorité aux yeux des pouvoirs publics”. Le lien entre augmentation des capacités de résilience face aux catastrophes et réduction de la pauvreté n’est pas pris en compte.

Ensuite, le Dr. Mitri explique que la crise elle-même joue un rôle important dans les carences de la réponse opérationnelle : “le manque d’équipement, de personnels de protection civile qualifiés et de ressources techniques et normatives pour la mise en place de plans de prévention ou d’intervention d’urgence, ne permet pas d’oeuvrer efficacement face aux catastrophes au Liban”. Dans cette mesure, “les outils existants ne sont que très peu pris au sérieux et utilisés”.

“Quelles sont les nouvelles stratégies de lutte qui sont adoptées ?”

Avec l’aide de plusieurs ONG locales luttant pour la préservation de l’environnement, et la collaboration de la région du Kesrouan-Ftouh, au nord de Beyrouth, et du département des Yvelines en France, un nouveau programme mis en place par Pompiers Sans Frontières en juin 2021 permet au Liban de développer des stratégies afin de mieux préparer ses populations et ses territoires aux risques d’incendies.

“Sur le court terme, ce programme PSF vise à renforcer la sensibilisation des publics lors de la saison estivale, la plus propice au déclenchement d’incendies au Liban. Dans cette optique, il s’agit d’intégrer les autorités aux stratégies de sensibilisation et de mettre l’accent sur la viabilité des projets d’aménagement du territoire en tant que sources de création et de préservation d’emplois et de revenus pour les communautés rurales et agricoles. Cette stratégie de sensibilisation sera également étendue aux écoles ainsi qu’aux groupes scolaires du Kesrouan-Ftouh auprès desquels des ONG locales interviendront. De plus, grâce au nouveau programme PSF, des formations seront organisées à destination de la police intercommunale, des polices municipales et des fonctionnaires de la région afin de mieux les préparer en cas d’urgence.” 

“Sur le long terme, il s’agit ensuite de développer grâce à ce programme, un plan de gestion des territoires forestiers applicable sur une période de 10 ans, dont le but est de réduire le risque forestier en contrôlant et diminuant l’intensité et la zone d’extension des incendies.”

“Quels sont les nouveaux outils de RRC qui sont en train d’être développés ?”

Plusieurs outils sont d’ores et déjà en cours de développement par PSF dans la région du Kesrouan-Ftouh. Parmi les plus importants pour la prévention, on est en train de mettre en place un PICS, un PIDAF et un DICRIM.

Un Plan Intercommunal de sauvegarde (PICS) est un document qui a pour but de servir de référence en termes de prévention des risques de catastrophe auprès de toutes les communes concernées. De cette manière, il permet la bonne gestion des moyens humains et matériels de réponse, une meilleure coordination des actions de sauvegarde et un égal niveau de résilience pour toutes les communes de la région.

Le Plan Intercommunal de Débroussaillage et d’Aménagement Forestier (PIDAF) a pour objectif principal le maillage des territoires par des sentiers afin de faciliter l’accès des forces de défense civile en cas d’incendie. C’est ce document qui permet la création et l’entretien des pistes et autres zones de coupures combustibles, l’aménagement de points d’eau et la création de coupures agricoles ou pastorales, permettant ainsi de protéger les zones d’activité rurales.

Il permet en outre d’identifier les zones prioritaires de débroussaillement en fonction des paramètres de dangerosité des espaces naturels en fonction de l’analyse des risques et d’une cartographie adaptée.

Le Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM) quant à lui est un document à la disposition du grand public qui a pour but d’informer les populations locales sur les risques et les moyens de prévention, de protection et de sauvegarde des territoires communaux en cas de catastrophe.

“Ce qui est important également de relever dans ce projet, c’est la synergie entre la collectivité territoriale Libanaise, en l’occurrence la Fédération du Kesrouan Ftouh, les acteurs opérationnels tels que la Défense Civile et la croix rouge libanaise ainsi que le tissu associatif local comme l’association LRI ou l’association de protection de la réserve du Jabal Moussa”.

Grâce à toutes les initiatives lancées et à ces nouveaux outils, le Liban souhaite augmenter ses capacités de résilience et ainsi être moins dépendant des forces  de protection civile internationales. À terme, la Fédération du Kesrouan-Ftouh, à l’aide de ce programme souhaite atténuer l’impact de ce risque majeur  qui survient chaque année sur son territoire et protéger efficacement ses espaces naturels contre les incendies. Pour cela, elle mise donc sur une stratégie préventive et sur la participation active de tous les acteurs, dont les communautés locales. Nous devrions voir dans les années à venir d’autres régions du Liban adopter cette stratégie de prévention et de prévision de ce risque majeur.

Université de Balamand, Tripoli, Liban

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