Augmentation des températures estivales et incendies de forêts généralisés : le bassin méditerranéen tire la sonnette d’alarme

L’été 2021 aura été étouffant. Depuis plusieurs années en période estivale, le bassin méditerranéen est régulièrement affecté par les incendies, devenant un des risques majeurs les plus préoccupants pour la région. Nous revenons sur les dégâts de cet été caniculaire et sur les causes et facteurs aggravants de ce “désastre écologique”. Le changement climatique, premier sur le banc des accusés, n’épargne aucun territoire. En première ligne : le Liban.

UNE PRÉOCCUPATION PLUS QUE JAMAIS D’ACTUALITÉ

LE POURTOUR MÉDITERRANÉEN S’EMBRASE

En Grèce, la fin du mois de juillet a été étouffante. Avec près de 80 départs de feu en seulement 24 heures et deux fronts principaux à seulement 20 kilomètres de la capitale grecque, Athènes et Thessalonique se sont retrouvées plongées dans une fumée épaisse qui s’étendait chaque jour un peu plus. Les températures moyennes de la dernière semaine de juillet ne sont pas descendues en dessous des 43 degrés, attisant un peu plus des flammes décrites comme incontrôlables par les forces de protection civile. Du fait d’un terrain accidenté et d’un manque de visibilité, les opérations de lutte ont été rendues très difficiles : ainsi, ce sont plus de 1 250 hectares de pinède qui sont partis en fumée rien que dans la région athénienne cet été.

Les autorités déclarent d’ores et déjà une situation de désastre écologique sur la côte égéenne

En Turquie, les autorités ont déclaré une situation de “désastre écologique” sur la côte égéenne et dans le sud du pays. Près de 100 000 hectares de forêts et terres agricoles ont été ravagés jusqu’à présent en 2021, un chiffre record puisqu’on dénombrait une moyenne de 13 000 hectares brûlés par an jusque-là. Avec 180 départs de feu fin juillet, le pays a connu son pire épisode d’incendies depuis une décennie. Malgré les efforts des forces de sécurité civile, la Turquie a continué d’être en proie aux flammes pendant plusieurs semaines du fait des températures qui n’ont pas baissé au mois d’août. Des records de chaleur à 50 degrés au sol ont été enregistrés dans plusieurs régions : c’est la pire canicule depuis plus de trente ans.

En Italie et en Bulgarie c’est le même constat : des centaines d’incendies ont été enregistrés quotidiennement entre fin juillet et début août, entraînant l’évacuation de villes entières et la destruction de plusieurs milliers d’hectares de biodiversité. Déclenchés par l’activité humaine, ces feux sont aggravés par une chaleur intense, une sécheresse accrue et un vent dévastateur qui frappent la zone chaque été.

En Algérie aussi, le mois d’août 2021 a été bien difficile. Les 72 incendies qui se sont déclarés simultanément dans le nord-est du pays se sont étendus sur 35 wilayas, de Blida à la frontière tunisienne. La Kabylie a été la région la plus touchée, avec un bilan humain et environnemental important : 89 000 hectares ont été ravagés et 69 personnes ont perdu la vie, dont 28 militaires qui avaient été déployés pour lutter contre les flammes. Si les autorités algériennes suspectent de leur origine intentionnelle, il est difficile de nier les effets aggravants qu’ont eu les conditions climatiques sur l’intensité des feux. Des températures allant jusqu’à 47°C ont été enregistrées début août par l’Office national de la météorologie qui plaçait 19 régions en vigilance orange canicule. Comme la France, l’Italie, le Portugal ou l’Espagne, l’Algérie est régulièrement impactée par des feux dans ses espaces naturels. Cet été encore, le pays, dépassé par les événements, a dû se résoudre, comme plusieurs autres États méditerranéens, à solliciter un déclenchement des mécanismes internationaux de solidarité, tel que le Mécanisme de Protection civile de l’Union Européenne.

Le mécanisme de protection civile de l’Union Européenne

 

  • Qu’est-ce que c’est ?

 

Créé en 2001 par la Commission européenne, il s’agit d’un dispositif dont l’objectif est d’améliorer la coopération des organismes de protection civile, de renforcer les actions de prévention et d’améliorer les capacités de réponse aux catastrophes. L’ensemble des États membres de l’Union et 6 autres pays participent à ce mécanisme : l’Islande, la Norvège, la Serbie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Turquie.

 

  • Comment ça marche ?

 

Il peut être déclenché par n’importe quel pays dans le monde se trouvant dans l’incapacité de répondre seul à une catastrophe. Les pays qui participent au mécanisme sont alors sollicités afin de procurer une aide d’urgence aux territoires concernés. Cette réponse peut prendre la forme d’un acheminement d’équipements ou d’un déploiement d’équipes médicales, de sauvetage, de recherche et/ou de protection civile.

 

  • Quel bilan ?

 

Depuis sa création, le Mécanisme a répondu à plus de 420 demandes d’assistance. En 2020, il a été activé plus d’une centaine de fois, suite à l’explosion du Port de Beyrouth, à cause de la pandémie ou bien dans le cas d’incendies importants sur le pourtour méditerranéen.

Cet été, ce sont 14 membres de l’UE qui ont déployé une aide suite à des demandes formulées par la Grèce, l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Turquie, alors ravagés par les flammes. Au total, le mécanisme a permis de mobiliser 14 bombardiers d’eau, 3 hélicoptères, 250 véhicules et plus de 1 300 sauveteurs en un temps record, entre juillet et août 2021.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE COMME FACTEUR AGGRAVANT

Le changement climatique a joué un grand rôle dans l’ampleur qu’ont pris les incendies du bassin méditerranéen cet été. Ce phénomène naturel, qui correspond à une modification durable du climat au niveau planétaire, est aujourd’hui caractérisé par un réchauffement global de l’atmosphère terrestre, due en grande partie aux effets de serre engendrés par l’activité humaine. Ce réchauffement entraîne alors des phénomènes climatiques toujours plus extrêmes et brutaux, il est notamment à l’origine des épisodes caniculaires répétés de ces dernières années. Or, des températures intenses favorisent la sudation des végétaux et l’évaporation de l’eau contenue dans les sols, ce qui entraîne alors des sécheresses de plus en plus importantes. Et qui dit chaleur et sécheresse, dit aussi risques d’incendies.

Le constat scientifique est donc indéniable : le réchauffement climatique amplifie la fréquence et l’intensité des épisodes d’incendie des espaces naturels.

Ce lien a notamment été mis en évidence par le World Weather Attribution, centre international d’étude et de prévision des changements climatiques, qui a déclaré que ce dernier avait été un facteur à l’origine des feux dévastateurs qui ont ravagé 5,8 millions d’hectares d’espaces naturels entre septembre 2019 et janvier 2020 en Australie.

Rien qu’en France, le nombre de départs de feux a augmenté de 18% entre 1960 et 2008, une progression en corrélation avec les chiffres de la température globale. D’après l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) des Nations Unies, on dénombre chaque année environ 350 millions d’hectares de forêts brûlées, soit une superficie égale à six fois celle de la France. L’Indice Forêt Météo (IFM), qui calcule les risques d’incendies à l’échelle globale, n’a, quant à lui, pas cessé d’augmenter.

Il n’y a alors rien d’étonnant à ce que les conséquences de ce changement soient chaque année un peu plus visibles et destructrices dans la zone méditerranéenne, identifiée comme l’une des zones les plus sensibles au dérèglement environnemental ! En effet, il faut ajouter à sa géologie, sa géographie et son climat propices aux départs et aux difficultés de contenir des incendies, des conditions météorologiques défavorables : de faibles précipitations et des épisodes venteux très courants.

INCENDIES À RÉPÉTITION : UN CERCLE VICIEUX

La récurrente destruction de forêts par le feu altère les écosystèmes et les empêche même de se reconstruire. Les gaz et les cendres d’un incendie modifient l’acidité et la composition chimique des sols même plusieurs mois après la catastrophe, ce qui a un effet direct sur la croissance et le comportement des végétaux. Certaines espèces vont alors devenir endémiques alors que d’autres vont complètement disparaître de la zone. Cette modification va alors, à plus long terme, appauvrir la flore qui, de ce fait, n’absorbe plus autant de CO2 qu’avant.

Les incendies répétés représentent donc un cercle vicieux particulièrement néfaste pour la biodiversité. Et ce cercle vicieux ne s’arrête pas là.

Le deuxième effet de la multiplication des incendies est évidemment qu’ils participent eux-mêmes au réchauffement climatique. En effet, de grands feux de forêt dégagent énormément de gaz à effet de serre. À titre d’exemple, on considère que les incendies de 2015 en Indonésie ont dégagé en 5 mois autant de CO2 que l’ensemble des émissions françaises en 5 ans !

De plus, en fonction de l’ampleur de l’incendie, on peut observer de nouveaux phénomènes climatiques et météorologiques déclenchés par la présence de fumée en abondance. On peut citer les incendies de juillet en Sibérie, qui ont provoqué un gigantesque smog étouffant plusieurs régions, ou encore le Bootleg Fire, un feu impressionnant qui a sévi pendant plus d’un mois en Californie, détruisant près de 250 000 hectares. Ce dernier générait son propre climat et provoquait la formation de “pyrocumulus”, des nuages créant de violentes tempêtes de foudre.

DES PROJECTIONS SCIENTIFIQUES PEU OPTIMISTES

D’après Météo-France, le pire reste encore à venir. Pour la France, d’ici 2040, l’Indice Forêt Météo, qui indique le risque d’occurrence d’un feu sur une zone donnée en fonction des conditions météorologiques, devrait encore subir une progression de 30% par rapport à la période 1961-2000.

En Méditerranée, de multiples facteurs devraient encore aggraver la situation de vulnérabilité face aux incendies tels que :

– la rareté ou le tarissement des sources d’eau douce, qui oblige les populations à rationner leur consommation et qui a pour effet d’augmenter le phénomène de sécheresse dans les espace naturels ;

– la concentration des activités économiques dans la zone côtière, qui cause une urbanisation prenant le pas sur les forêts, ce qui, lors d’un incendie, représente un risque direct pour la vie humaine ;

– la dépendance en une agriculture sensible au climat, rendant la production de denrées alimentaires vulnérable.

D’après plusieurs études, en imaginant que les Accords de Paris (2016) soient respectés et que la température globale n’augmente que d’1,5°C d’ici 2030, le nombre d’incendies dans le bassin méditerranéen pourrait tout de même augmenter de 40% dans le meilleur des scénarios. À ce sujet, le sixième rapport publié par le GIEC en août 2021 ne laisse cependant que peu de place à l’optimisme.

Les Rapports du GIEC

 

Le GIEC, ou Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, est une organisation créée en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale et le Programme pour l’Environnement des Nations Unies à la demande des membres du G7. Son rôle est “d’expertiser l’information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l’homme”.

Il est divisé en 3 groupes de travail qui réalisent une expertise sur :

– le fonctionnement physique et chimique du climat et ses variations passées ou à venir (groupe 1),

– la vulnérabilité de la biosphère et de notre système socio-économique face aux risques du changement climatique (groupe 2),

– les scénarios d’émission de gaz à effet de serre et la manière de réduire nos émissions (groupe 3).

Ces travaux ont pour but de faire la synthèse des connaissances scientifiques dans ces domaines et donc d’orienter les futures politiques climatiques et environnementales à l’échelle nationale, régionale et même, globale. Le premier rapport du GIEC, publié en 1990, a, par exemple, servi de base scientifique à l’élaboration de la Convention Climat de l’ONU, ratifiée à Rio de Janeiro en 1992.

Le dernier rapport du GIEC a été publié en août 2021 par le groupe de travail n°1 en vue de l’élaboration du 6 ème rapport complet de ce Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

LE LIBAN N’EST PAS ÉPARGNÉ PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le Liban, pays au cœur de la région méditerranéenne, fait donc lui aussi partie des pays touchés par ces problématiques. En effet, en plus de connaître une crise économique et sociale sans précédent, le pays fait aussi face aux risques climatiques et environnementaux, liés non seulement aux changements climatiques mais aussi aux pratiques industrielles, prenant rarement en compte l’impact qu’elles ont sur les montagnes libanaises. Ces activités irraisonnées sont directement impliquées dans la multiplication des incendies forestiers.

UN NOUVEL ÉPISODE CATASTROPHIQUE FIN JUILLET

Cet été, le nord du Liban a lui aussi été une nouvelle fois en proie à des feux dévastateurs.

Un incendie s’est déclaré subitement et de manière spectaculaire dans la Békaa (vallée orientale du Liban), dans une forêt de pins et de chênes de terrains domaniaux. Les flammes se sont ensuite étendues jusqu’à la plaine orientale et la Syrie, dans des zones extrêmement boisées et régulièrement en situation de sécheresse en période estivale.

Des centaines de pompiers et de volontaires ont alors été déployés pour contenir les feux mais le manque de moyens et de fortes rafales n’ont fait qu’ajouter de la difficulté à la situation. Si les principaux foyers ont été maîtrisés dans les 48 heures, les feux ont repris dans les jours suivants et ont ravagé collines et vergers pendant encore quelques semaines.

" Chaque année pendant la saison estivale les incendies détruisent plusieurs milliers d’hectares de forêts et terres agricoles au Liban."

Ainsi, à Beino, ce sont plus de 400 hectares d’oliviers et de chênes qui sont partis en fumée fin juillet 2021. D’autres feux ont quant à eux continué de ravager les localités de Akroum, Ktar Toun et Kobeyate, où les immenses flammes ont engendré l’évacuation des civils. Au total plus de 1100 hectares ont ravagé le Liban en quelques jours.

Cet épisode catastrophique est loin d’être exceptionnel. Chaque année pendant la saison estivale, les incendies détruisent plusieurs milliers d’hectares de forêts et terres agricoles. En octobre 2019 déjà, c’est plus de 1200 hectares de végétation qui sont partis en fumée en quelques jours principalement au sud de Beyrouth et dans le Chouf.