Genre et gouvernance à Jezzine : vers une inclusion durable des femmes dans la gestion des risques

Dans les collines boisées du Caza de Jezzine, au Liban Sud, la menace des incendies d’espaces naturels est une réalité chaque été. Depuis la fin de l’année 2023, Pompiers Sans Frontières coordonne un ambitieux plan territorial de prévention en partenariat avec la Jezzine Foundation for Culture and Heritage. Ce programme ne se limite pas à la lutte contre le feu. Il entend transformer la gouvernance locale en y intégrant pleinement les femmes, longtemps sous-représentées dans les instances décisionnelles et les métiers liés à la sécurité civile. L’objectif affiché est de renforcer la capacité de la communauté à prévenir et gérer les risques tout en construisant une résilience durable et équitable. Pour y parvenir, l’association mise sur un travail de terrain patient, combinant formation, sensibilisation à l’égalité et implication directe des habitantes dans la vie publique.

Photo : de gauche à droite : Fatima Hassan Défense Civile de Bkassine, Norma Asmar Croix-Rouge Jezzine, Rita Abou Nader Pompiers Sans Frontières Jezzine, Rita Arayeh Caritas Jezzine

 Élues et employées locales : entre engagement et manque de reconnaissance

Entre juin et août 2025, six focus groups ont été organisés, réunissant plus de soixante participantes issues de profils variés : élues locales, employées administratives, jeunes investies dans la vie paroissiale, et l’action sociale et citoyenne; entrepreneuses et agricultrices. Chacune de ces rencontres a permis de mieux comprendre les besoins, d’identifier les obstacles et de recueillir les aspirations des participantes.

La première réunion, tenue le 15 juin à la municipalité de Jezzine, a rassemblé neuf élues et employées locales. Les échanges ont mis en lumière la difficulté à concilier engagement politique, vie professionnelle et responsabilités familiales, ainsi que le manque de mentorat et de reconnaissance. Les participantes ont évoqué la nécessité de créer un comité “genre municipal”, de proposer des formations en communication politique et de favoriser les échanges entre communes pour partager les bonnes pratiques.

Le 22 juin, au siège de l’Union des Municipalités, six employées ont pris part à la deuxième rencontre. Elles ont souligné leur faible représentation dans les postes à responsabilité et le manque d’accès à des formations stratégiques. L’idée d’un programme régulier de formation au leadership et à la gestion de projets a été avancée, de même que la création d’un comité genre intercommunal et l’intégration de clauses spécifiques à l’égalité dans les projets publics.

Une génération motivée mais freinée par les stéréotypes

La troisième réunion s’est tenue le 19 juillet dans le salon de l’église Saint Maron. Dix jeunes femmes âgées de 18 à 30 ans, investies dans la vie paroissiale, ont exprimé leur motivation à s’engager mais aussi les freins qu’elles rencontrent face aux stéréotypes et au manque de reconnaissance institutionnelle. Elles ont souhaité créer un groupe local de jeunes engagées, organiser des rencontres mensuelles et inviter des femmes modèles à témoigner de leur parcours afin d’encourager l’engagement citoyen féminin.

La quatrième rencontre, le 2 août, a donné la parole à dix femmes rurales âgées de 40 à 70 ans, vivant principalement du travail agricole, artisanal ou commercial. Elles ont insisté sur l’importance de leur contribution à l’économie locale, souvent invisible, et ont exprimé un fort besoin de formations pratiques en agriculture durable, en artisanat et en gestion financière. Elles ont également souligné la nécessité d’un meilleur accès aux microcrédits, aux terres et aux services essentiels tels que l’eau, la santé et la formation. Ces femmes souhaitent participer davantage aux décisions locales, encourager la création ou le renforcement d’associations féminines et voir mises en place des campagnes de sensibilisation à l’égalité pour faire évoluer les mentalités.

Une volonté de reconnaissance du rôle de la femme dans l’engagement humanitaire, l’action sociale et la gestion de crise.

Le 12 août, la réunion a réuni des volontaires féminines de la Croix-Rouge Libanaise du secteur de Jezzine, engagées dans les interventions médicales, sociales et humanitaires. L’objectif était de mettre en valeur leur rôle dans la gestion des crises, de comprendre les défis qu’elles rencontrent sur le terrain, et de réfléchir à des moyens de renforcer leur capacité d’action. Thème d’autant plus d’actualité au vu de la sollicitation de la Croix Rouge pendant la période du conflit armé en 2024.
Ces échanges ont permis de cerner les défis que les femmes rencontrent sur le terrain au niveau de leur rôle dans l’engagement humanitaire, mais aussi la gestion du stress et la charge émotionnelle, ainsi que l’accès à des formations portant sur la sécurité individuelle et collective
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C’est le 21 août, dans les locaux de Caritas Jezzine que 9 femmes ont participé à la sixième réunion qui marquait la clôture de ce premier cycle. Les thèmes ont porté sur les projets menés en faveur des familles en difficulté, leur rôle dans la solidarité de proximité permettant d’identifier des pistes et moyens d’actions afin d’augmenter leur capacité d’action et leurs missions.
Les premières conclusions ont porté sur la nécessité de formations spécifiques leur permettant un meilleur accès à des postes de coordination et de gestion, ainsi que l’idée de développer un réseau interne mais aussi avec d’autres structures comme la Croix Rouge composé de volontaires féminines afin de pouvoir partager leurs expériences, leurs difficultés mais aussi les bonnes pratiques et leur rôle.

Ces six focus groups, réalisées durant l’été 2025, marquent la fin d’une première étape essentielle du projet. Cette phase de diagnostic a permis d’écouter les voix des femmes, de comprendre leurs réalités et de dégager des propositions concrètes qui guideront la suite. Les mois à venir verront la traduction de ces idées en actions tangibles : création de comités genre, intégration systématique de clauses d’égalité dans les projets publics, soutien à l’entrepreneuriat féminin et ouverture accrue des métiers de la sécurité civile et des fonctions techniques aux femmes, avec pour objectif d’atteindre trente pour cent de représentantes dans les instances de gouvernance.

 Vers une gouvernance locale plus inclusive et durable

Parallèlement à ce travail sur l’égalité, le dispositif d’alerte précoce, lancé lundi dernier, fonctionne déjà avec succès. Il permet une détection rapide des départs de feu et une intervention coordonnée, renforçant ainsi la protection du territoire. Des images et vidéos viendront bientôt illustrer ces premiers résultats encourageants. À Jezzine, la prévention des incendies devient ainsi un moteur de transformation sociale.

Les femmes ne sont plus seulement spectatrices mais actrices à part entière, porteuses de projets et décideuses dans la gestion des risques. Comme l’a exprimé l’une des participantes : « Nous voulons construire une société juste, qui écoute nos voix et reconnaît nos talents. » Pour Pompiers Sans Frontières, cette dynamique marque le début d’un changement profond et durable vers une gouvernance plus inclusive et plus efficace au service de toute la communauté.

Cette première phase du projet a permis de rassembler et d’écouter des femmes aux profils très différents, élues, employées administratives, jeunes investies dans la vie paroissiale ou dans la vie associative et issues du monde rural. Les échanges ont révélé à la fois des points communs comme le besoin de reconnaissance, de formation et d’accès aux postes de décision mais aussi des spécificités propres à chaque groupe. Avant de passer à cette étape décisive, ces focus group ont permis d’identifier les freins ainsi que les perspectives permettant leur évolution.