La culture de prévention du risque

Encore peu développée au niveau national malgré la diversité des risques qui traversent les territoires français, la culture du risque représente une stratégie efficace pour lutter contre les risques de catastrophe et pour renforcer les capacités de résilience des sociétés et des espaces. Dans cette étude de cas, nous revenons sur la définition du terme de “culture du risque”, sur les enjeux qui accompagnent son développement, et sur les moyens dont nous disposons pour l’installer durablement en France. Nous comparons aussi la manière dont d’autres États se sont appropriés le concept et proposons un panorama des avancées en la matière en France.

QU'EST-CE QUE LA CULTURE DU RISQUE ?

Pour reprendre les termes de la géographe spécialiste des risques, Magali Reghezza-Zitt, la culture du risque peut être définie comme une “façon spécifique de percevoir et de concevoir le danger, de l’accepter et d’interpréter son existence ou ses manifestations” au sein d’une société donnée. C’est une définition qui ne fait pas l’unanimité au niveau global, où l’on observe que cette stratégie de prévention des risques peut être appréhendée selon deux approches : celle du développement de bonnes pratiques et celle du renforcement des capacités de résilience.

Le Développement de bonnes pratiques

 

En France, le terme de “culture du risque” est employé par le ministère de la transition écologique et solidaire pour désigner “la connaissance par tous les acteurs (élus, techniciens, citoyens, etc.) des phénomènes naturels et l’appréhension de la vulnérabilité. […] Celle-ci doit permettre d’acquérir des règles de conduite et des réflexes, mais aussi de débattre collectivement des pratiques, des positionnements, des enjeux, etc. […] En faisant émerger toute une série de comportements adaptés lorsqu’un événement majeur survient, la culture du risque permet une meilleure gestion du risque.” (Glossaire DDE 59).

À travers cette définition, le gouvernement place au centre du concept une dimension individuelle de l’appréciation et de la réaction aux risques. La conception de la culture du risque est clarifiée dans une loi de modernisation de la sécurité civile promulguée en 2004, qui dispose non seulement que “la sécurité civile est l’affaire de tous” mais aussi que “tout citoyen y concourt par son comportement”. Réformée dans les années 2010, la loi française précise que la culture du risque est un phénomène social qui consiste à “pouvoir compter sur le comportement de citoyens informés et responsables, préparés à affronter les risques et les menaces par une connaissance effective du danger et des consignes de prévention et de protection, et capables de s’intégrer utilement dans l’organisation collective au stade de la réponse.”. Pour la prévention des risques, on mise donc beaucoup sur l’information, la sensibilisation et la formation, notamment en milieu scolaire, qui permettent une meilleure réaction collective aux aléas.

Le concept de culture du risque tel qu’appréhendé en France peut donc s’entendre comme un ensemble de savoirs et de bonnes pratiques, répandus dans la société par le biais de tous les citoyens formés. 

Le Renforcement des capacités de résilience

 

Au contraire, pour d’autres territoires, où les risques d’occurrence et l’intensité des catastrophes sont plus élevés, la culture du risque ne prend pas en compte l’évitement, l’atténuation ou la réduction des dégâts (matériels, humains, écologiques), chose considérée comme impossible.

Au Japon par exemple, la culture du risque est davantage une manière d’appréhender l’apparition certaine de dégâts après une catastrophe, et donc un moyen de préparer des solutions de relèvement en amont pour ses territoires et ses populations. Cette approche, théorisée par le professeur Yoshiaki Kawata, de l’université du Kansai (Osaka, Japon), glisse donc vers une culture de la résilience plutôt que du risque, et a été adoptée par plusieurs pays de la région, dont la Corée du Sud.

Université Kansai, Osaka, Japon

EST-CE UTILE DE DÉVELOPPER UNE CULTURE DU RISQUE EN FRANCE ?

Par sa diversité de climats, de formations géologiques et de situations géographiques, la France est susceptible d’être touchée par bon nombre de catastrophes. On identifie aujourd’hui deux types de risques majeurs sur ses territoires : les risques technologiques et les risques naturels. Définis par le Ministère de la transition écologique et solidaire, les risques naturels concernent les deux tiers des communes françaises, soit 1 français sur 4. Parmi eux, le plus important reste le risque d’inondations, si l’on considère le nombre de communes exposées. Le risque sismique est quant à lui identifié comme étant le plus dommageable, tant au niveau humain que matériel ou écologique.

Tous les territoires ne sont donc pas égaux devant les risques. Certains départements français les cumulent, et certains sont concernés par des risques plus dommageables que d’autres. En France, les territoires ultra-marins sont exposés à des risques différents de ceux qu’on peut retrouver dans les départements métropolitains.

Qu'est-ce qu'un risque et comment se calcule-t-il ?

 

Le terme « risque » peut être entendu de différentes façons en fonction de la connotation qu’on lui confère. S’il est souvent appréhendé comme négatif, lorsqu’on l’associe au danger, au péril ou à la menace, le risque peut aussi être un terme neutre, lorsqu’il est employé pour désigner un aléa, une responsabilité ou un hasard, ou comme un terme positif, dans le sens de la chance ou de la fortune.

Dans le langage courant, le risque et le danger sont souvent interchangeables : c’est une erreur. Le risque n’est pas un danger, c’est une incertitude au danger.

D’après la définition qu’adopte l’INERIS (l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, expert public pour la maîtrise des risques industriels et environnementaux), le risque est un « danger éventuel, plus ou moins prévisible, inhérent à une situation ou à une activité » ou encore « l’éventualité d’un événement futur, incertain […] pouvant causer la perte d’un objet ou tout autre dommage ».

“Le concept technique de risque s’appuie ainsi sur deux composantes principales : le danger et son potentiel d’effet sur les cibles ou enjeux exposés.” (INERIS). Pour le calculer, on prend donc en compte à la fois le niveau de gravité du risque, la fréquence d’exposition des cibles, la probabilité d’apparition du danger, le mode de fonctionnement du danger, et les moyens de prévention et/ou de protection mis en place.

L’analyse des risques est universelle, on l’applique à différentes problématiques telles que la santé, l’économie, l’écologie, la finance ou la sécurité civile.

Les risques naturels des territoires français métropolitains :

 

Les principaux aléas auxquels la France métropolitaine est exposée sont les inondations, les mouvements de terrain, les incendies, les avalanches et les tempêtes. Les différents départements peuvent aussi en fonction des saisons, être touchés par des périodes de grand froid ou de canicule, ou encore, dans une moindre mesure (chaque siècle environ), par des séismes similaires à celui qu’a connu l’Italie (Aquila) en 2009.

Inondations

Il s’agit-là du premier risque naturel en termes de communes concernées (plus de 16 000 communes dont 300 agglomérations). Les surfaces considérées comme inondables en métropole représentent une superficie de 27 000 Km2, habités par environ 5 millions de personnes.

Mouvements de terrain

Ils comprennent à la fois les affaiblissements, effondrements, glissements de terrains et les chutes de pierre et éboulements. Engendrés par des précipitations, des changements de température ou par l’activité humaine, ces mouvements ponctuels occasionnent souvent des dommages matériels et humains importants. En France, ce sont au total plus de 7 000 communes concernées.

Avalanches

Parmi les catastrophes naturelles les moins meurtrières, les avalanches représentent tout de même une trentaine de décès par an rien qu’en France. Elles restent exceptionnelles mais leur fréquence pourrait augmenter dans les années à venir du fait du réchauffement climatique. La prévision des avalanches est également difficile et augmente le degré de gravité de ce risque, présent uniquement sur le territoire métropolitain.

Incendies des espaces naturels

L’été 2021 est une parfaite illustration de ce risque : des milliers d’hectares d’espaces naturels ont été ravagés en l’espace de quelques jours dans le bassin méditerranéen, causant des dommages environnementaux, matériels et humains extrêmement importants. En France, ce sont plus de quinze millions d’hectares boisés et deux fois plus d’espaces naturels agricoles qui sont susceptibles d’être touchés par des incendies, notamment dans la partie sud du pays.

Tempêtes

 On qualifie de tempête un épisode météorologique comprenant des rafales dépassant parfois les 200 km/h et des précipitations et une houle anormalement fortes. Elles concernent principalement les zones littorales de la partie nord et nord-est de la métropole et occasionnent des pertes matérielles et humaines importantes.

Les risques naturels propres aux territoires français ultramarins :

 

Du fait d’une situation géographique différente, les risques observés pour les territoires d’outre-mer sont à la fois plus nombreux et plus intenses que ceux observés en métropole, puisqu’ils comprennent également les risques de séisme, d’éruption volcanique et de cyclone. Il s’agit là de trois autres risques naturels dits “majeurs”, du fait de l’envergure des dommages qu’ils peuvent causer : 2,6 millions d’habitants et plus de 120 000 km² d’espaces naturels sont concernés.

Séismes

Ce risque est particulièrement présent en Martinique et en Guadeloupe, îles situées à la jonction de deux plaques tectoniques (plaque nord-américaine et plaque caribéenne). D’après l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), on enregistre environ un millier de séismes dans la région des Antilles chaque année. Le risque de la survenue d’un séisme potentiellement destructeur (de magnitude égale ou supérieure à 6 sur l’échelle de Richter) est y est donc très élevé.

Éruptions Volcaniques

Ce risque concerne surtout la région des Caraïbes, avec la Soufrière en  Guadeloupe et la Montagne Pelée en Martinique, et le département de la Réunion, avec le Piton de la Fournaise. Les trois volcans sont toujours actifs et représentent un risque au degré de gravité élevé. Si les éruptions sont tout à fait prévisibles, elles n’en restent pas moins destructrices.

Cyclones

Ils font partie des phénomènes météorologiques les plus dévastateurs et dont le risque d’occurrence augmente drastiquement avec le réchauffement climatique. Ils concernent l’ensemble des 12 territoires d’outre-mer français et se caractérisent par de lourds dommages chaque année, tant au niveau humain qu’environnemental. Le dernier en date est le cyclone Irma de 2017, catégorie 5 sur l’échelle de vent Saffir-Simpson, et dont Saint-Martin et Saint Barthélemy ont mis plusieurs années à se remettre.

Des risques technologiques :

À ces risques naturels s’ajoutent les risques technologiques, c’est-à-dire d’origine anthropique, souvent liés à la présence de plusieurs centrales nucléaires ou d’entreprises Seveso à proximité de grandes agglomérations. Les risques technologiques sont nombreux et présents sur l’ensemble des territoires français, métropolitains ou ultramarins, ruraux ou urbains.

Qu'est-ce qu'une entreprise Seveso ?

Seveso est une commune italienne, située en Lombardie, qui a été touchée par un lourd accident industriel en 1976, lors duquel une explosion chimique a entraîné la formation d’un nuage de dioxine qui s’est répandu sur plusieurs kilomètres. La commune a, par la suite, donné son nom à une directive européenne adoptée en 1982, visant à limiter les risques technologiques.

Une “Entreprise Seveso” désigne donc aujourd’hui une entreprise dont les activités sont liées “à la manipulation, la fabrication, l’emploi ou le stockage de substances dangereuses (par ex.: raffineries, sites (pétro)chimiques, dépôts pétroliers ou encore dépôts d’explosifs).” (Ministère de la Transition écologique)

En France, on comptait 1 367 sites Seveso en 2019, dont 738 sites Seveso classés “seuil haut”, soit représentant un niveau de risque élevé.

Au vu des nombreux risques qui parcourent la France, une culture de la prévention du risque pourrait éviter la destruction d’espaces et d’infrastructures, et permettre aux territoires touchés de se relever plus rapidement après une catastrophe.